"Lille a mis en place un urbanisme négocié avec les professionnels de l’immobilier"

Business Immo : Quel bilan urbanistique tirez-vous depuis votre arrivée à la tête de la ville de Lille ?
Martine Aubry : En 2004, alors que Lille est capitale européenne de la Culture, je propose une vision pour la ville du 21e siècle : le projet urbain de Lille, qui porte l’ambition de créer un « nouvel art de ville », constitue depuis notre feuille de route. Il s’agit de reconstruire la ville dans ses fonctions, dans chacun de ses quartiers. Nous voulons mettre fin à l’éclatement des fonctions de l’homme dans la ville où on distingue les lieux où on dort de ceux où on travaille, on se forme, on commerce, on se cultive ou on fait du sport. L’idée, c’est d’aller à l’inverse d’une conception qui isole plutôt qu’elle ne réunit avec ses quartiers dortoirs, ses zones industrielles, ses centres commerciaux périphériques sans âme, ses centres-villes musées qui se vident le soir, ces « villes privées » où se développe l’entre-soi. Si à Lille et dans sa métropole nous avons résisté mieux qu’ailleurs à ces mouvements, notre vision politique affirme une volonté de mêler et réunir les espaces et les hommes.
Ce travail s’exprime à travers des projets structurants qui marquent une renaissance de nos quartiers populaires, que nous avons souhaité garder dans la ville. Notre grand projet de renouvellement urbain des quartiers populaires du sud de Lille (projets Arras-Europe, Margueritois, Cannes-Arbrisseau à Lille Sud et Porte de Valenciennes à Moulins) s’est ainsi traduit par la reconstitution de rues, de places, d’îlots, la fabrication de véritables morceaux de ville, mixtes, là où nous avions à mon arrivée à Lille des tours ou des barres A, B, C, sans véritable urbanisme. Nous avons mis l’accent sur la qualité des espaces publics, des équipements publics et de l’architecture en général.
Nous avons également réinvesti nos friches industrielles et urbaines pour valoriser le patrimoine existant en construisant la ville du 21e siècle. Entre Lomme et le quartier des Bois-Blancs à Lille, le projet des Rives de la Haute Deûle illustre cette transformation. Structuré autour d’EuraTechnologies, pôle d’excellence de plus de 3 500 emplois dans les nouvelles technologies, le projet s’est organisé en lien avec son environnement par une reconquête du patrimoine industriel, une valorisation de l’eau et une mixité programmatique à l’échelle la plus fine entre habitat, lieux d’activités, espaces publics et de nature. Primé et labellisé écoquartier, ce projet porte la marque de la métamorphose de Lille dans ces 10 dernières années. Mettre en réseau les espaces et les hommes et affirmer la ville à partir de ses repères sont les axes qui continuent à animer notre politique urbaine. De l’effervescence des transformations urbaines à l’œuvre dans chaque quartier à la mise sur les rails aujourd’hui de nouveaux grands projets, comme Fives Cail ou Saint-Sauveur, c’est un état d’esprit qui nous réunit.
Le bilan est éloquent : en moyenne plus de 2 000 logements par an sont réalisés à Lille chaque année depuis 10 ans, dont 30 % de logements locatifs sociaux. De 2014 à 2020, nos objectifs quantitatifs sont les suivants : produire 10 000 logements neufs, dont 3 000 locatifs sociaux et 1 250 en accession à la propriété et requalifier durablement 11 000 logements anciens. Le bilan, c’est aussi avoir su faire rayonner Lille dans sa métropole et dans sa région en faisant émerger des pôles d’excellence économiques, comme Eurasanté, EuraTechnologies et en confortant Euralille. Mais aussi en en accompagnant l’essor économique de la ville dans le domaine du commerce, du tourisme et de l’économie culturelle notamment. Les pôles d’excellence culturels et sportifs, les nouveaux espaces de nature, inscrits dans la transformation de chaque quartier, sont aussi des nouveaux repères pour les habitants et ceux qui visitent notre ville.