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5 mai 2015 | 12:19 CET

[ITW] "Il y a une prise de conscience des enjeux qui portent sur l’espace que l’on ne percevait pas auparavant"

Jacques Lévy, géographe
Par Business Immo Staff
Business Immo

études foncières: Pourquoi a-t-on l’impression que, soudainement, le géographe s’invite dans l’analyse et les débats qui concernent les domaines des territoires et de la ville ?
Jacques Lévy: Il doit bien se passer quelque chose pour que vous me posiez cette question. Il y a une marque d’intérêt renouvelé des médias pour la géographie. Je pense que c’est le résultat de la rencontre de deux phénomènes. Le premier, et le plus important à mon avis, c’est le fait que, dans les sociétés contemporaines, nous avons pris conscience que l’espace compte, et ce, dans différents domaines qui se connectent. Le deuxième phénomène, c’est que la géographie a évolué au point d’avoir modifié notre perception de l’espace.
 
Sur le premier point, deux éléments jouent un rôle. C’est à la fois la mondialisation et l’individu qui renforcent l’intérêt pour l’espace.
 
Pour la mondialisation, c’est évident. Par exemple, des espaces qui étaient enclavés se retrouvent désormais connectés. La première mondialisation, c’est celle de l’information. Jamais les individus n’ont été aussi bien informés de ce qui se passe à l’autre bout du monde. Et cet autre bout du monde est devenu proche !
 
De fait, l’individu lui-même n’est pas une réalité spatiale de petite échelle, puisqu’il se déplace. Il n’est donc pas, du point de vue de la dimension, l’opposé du Monde. L’opposé du Monde, ce serait un petit lieu. Les échelles de l’individu, ce sont toutes les échelles possibles et imaginables – car l’espace, ça se passe aussi dans la tête.
 
Le Monde a changé et, de fait, la perception de l’espace du Monde. En conséquence, il y a une prise de conscience des enjeux qui portent sur l’espace que l’on ne percevait pas auparavant. Cette non perception était due pour une part à notre mythification du temps, qui reposait sur de grands récits, qui laissaient peu de place à l’espace. Cette matrice temporelle nous projetait dans un futur, lui-même mythifié comme, par exemple, avec le progrès de la science. Ainsi, la construction du présent – auquel l’espace contribue puissamment – était moins centrale. Cette évolution s’accompagne d’un autre changement, celui de l’évolution de la pensée moderniste, cartésienne, analytique, qui avait tendance à isoler les objets. Cette logique de la séparation et de la fragmentation est devenue obsolète et ne correspond plus à la demande de réflexivité de la société.
 
Aujourd’hui, l’analyse d’un espace doit permettre à son utilisateur de comprendre comment, en agissant sur un site, vous agissez sur l’ensemble d’un réseau ou d’un territoire. La conscience écologique a, notamment, joué un rôle dans cette évolution, en obligeant à raisonner sur les interdépendances spatiales. C’est vrai aussi pour la ville. Nous avons fini par comprendre que la ville forme un tout, et qu’il est devenu inconcevable d’isoler des morceaux de cet espace en ignorant les autres. L’urbanité est un système fondé sur le mélange, et non une simple juxtaposition d’objets ou d’actions. Comprendre, cela a pris du temps…
 
Ces changements nous permettent aujourd’hui de faire éclater le mot « espace » en deux éléments : espace et spatialité. L’espace est un environnement, la spatialité est un ensemble d’actions. On assiste donc à l’émergence d’acteurs – y compris de petits acteurs –, et cela est un élément fondamental dans l’analyse d’un territoire.
 
Les habitants, par leurs actions, façonnent tout autant que les grands acteurs, comme les promoteurs immobiliers, l’espace de la ville. Les individus ne sont donc plus des pions posés sur un espace qui leur resterait hors d’atteinte et serait déterminé par des technocrates ou les financiers. Dans le domaine urbain, les simples habitants ont beaucoup plus de pouvoir qu’avant. Je suis donc arrivé à la conclusion que ce couple « espace-spatialité » fonctionne assez bien pour comprendre les dynamiques urbaines.
 
Face à ces transformations, la géographie a elle-même changé. Dans la première partie du XXe siècle, elle vivait dans un splendide isolement. Les géographes avaient arrêté de lire la sociologie, les sciences politiques et économiques, ainsi que la philosophie. Ils se sont donc affaiblis intellectuellement.
 
Depuis les années 1960, dans les pays anglophones, puis la décennie suivante dans les pays francophones, de grands changements sont intervenus et ont dépoussiéré la géographie. Il a fallu importer, adapter et acquérir des savoirs qui existaient déjà et pouvaient s’appliquer à notre objet d’études. Cela a fini par donner des résultats. Aujourd’hui, la géographie peut commencer à exporter ses savoir-faire et des analyses aux autres. De fait, le solde intellectuel entre la géographie et les autres domaines de l’analyse est plus équilibré.
 
On notera au passage que, dans le monde francophone, les différents courants de pensée chez les géographes échangent et se parlent. Le brassage intellectuel n’a pas donné lieu à un éclatement, contrairement, par exemple, aux Etats-Unis où les différentes chapelles restent cloisonnées.

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