Personne n’a de boule de cristal, mais suffisamment ont des yeux pour voir que nous sommes entrés dans une nouvelle ère économique et financière. Alors que tous les voyants virent au rouge sur les paramètres macro-économiques et financiers, le marché de l’immobilier professionnel, et plus particulièrement les bureaux, semble quelque peu désynchronisé, presque hors du temps.
À preuve, les volumes d’investissement à fin septembre restent robustes avec plus de 21 Mds€ engagés, supérieurs à 2021 pour toutes les catégories d’actifs. Le bureau demeure la première allocation des investisseurs, quand bien même sa proportion diminue d’année en année. L’Île-de-France concentre encore près des deux tiers des investissements (62 %). Certes, les taux de rendement « prime » s’ajustent sur les courbes proposées par les brokers, mais à une vitesse qui paraît anachronique par rapport au choc de taux d’intérêt que l’on connaît et qui laisse la prime de risque totalement dépendante de la capacité du bailleur à répercuter l’inflation sur le preneur.
Aucun signe de craquement significatif sur le marché locatif de bureaux, dont on loue la « résilience » qui se retrouve dans le volume de demande placée, en progression de 22 % au 3e trimestre et qui devrait atterrir à plus de 2 millions de m2 cette année en Île-de-France. Cette résilience est bien évidemment à géométrie variable, selon que l’on se trouve dans Paris ou dans sa périphérie. La capitale jouit à plein de la demande de centralité des entreprises et d’une offre immédiatement disponible famélique.
Cette lecture du marché immobilier contraste avec celle de la conjoncture économique et financière que Denis Ferrand a exposée devant les membres de l’Observatoire régional de l’immobilier d’entreprise en Île-de-France (ORIE). Le directeur général de Rexecode a parfaitement résumé le processus d’inflation, que l’on sait maintenant durable et non transitoire, et surtout la thérapie adoptée par les banques centrales : remonter massivement les taux d’intérêt pour enclencher un processus de ralentissement économique. « Ce ralentissement est acté. Il se prolonge et s’accentue », prévient Denis Ferrand, s’appuyant sur l’évolution des indices PMI. Ce processus de ralentissement est en cours aux États-Unis où les déterminants fondamentaux de l’inflation ont changé de sens, mais il « prendra du temps ».
En Europe, c’est le moral des patrons allemands qui inquiète. Il est tombé à un niveau historiquement bas qui fait craindre à l’économiste que le malade allemand contamine ses voisins européens. « Nous ne sortirons pas indemnes d’un ralentissement économique profond en Allemagne », alerte Denis Ferrand. En France, les défaillances et radiations d’entreprises explosent de 37 % par rapport à 2019. Bref, la crise est là.
La question maintenant est de savoir quand on en sort. Denis Ferrand nous donne deux ans pour revenir à une « tendance normale ». Et cette « tendance normale » cache un fléchissement structurel de l’économie française, en proie à un ralentissement démographique et un affaiblissement des gains de productivité.
Les acteurs immobiliers devront composer avec un consensus qui projette une croissance économique annuelle inférieure à 1 % et une inflation stabilisée autour des 3 %. Pas avant 2024. Entre-temps, il faudra ajuster sa stratégie immobilière à ce nouveau calendrier. On sait que la réussite d’un investissement est souvent liée au timing.