"Le centre commercial doit devenir un lieu de consommation de services plus que de biens"

Business Immo : Si vous aviez un point saillant à retirer de cette étude, quel serait-il ?
Philippe Moati : Selon moi, le point le plus « inspirant » qui ressort de l’étude est la tendance à ce que l’on pourrait appeler la spécification des espaces commerciaux en France, c’est-à-dire la propension des différents types de polarités commerciales (de l’hypercentre aux centres commerciaux, en passant par les retail parks) de capter des publics de plus en plus spécifiques, autrement dit, la tendance des consommateurs à concentrer leurs fréquentations dans les espaces commerciaux les plus en phase avec leurs attentes. Ce point fait écho à des tendances sociétales lourdes : la « démassification » et l’individualisation des comportements et des attentes d’une part, et la communautarisation, le développement d’une sociabilité de l’entre-soi d’autre part. Continuer à espérer rassembler et satisfaire tout le monde au sein d’un même espace commercial relève de plus en plus de la quadrature du cercle. Il faut donc se départir d’une logique de développement « extensif » au profit de la transposition du principe d’un « commerce de précision » à l’échelle des polarités commerciales.
 
BI : À qui la faute : au modèle épuisé du centre commercial, à la concurrence du e-commerce ou tout simplement au trop-plein de mètres carrés commerciaux ?
PM : Le développement du e-commerce rend mécaniquement obsolète un certain nombre de mètres carrés commerciaux qu’il faudra, c’est une certitude, fermer ou recycler à terme. La France n’est clairement pas dans la situation préoccupante des États-Unis où le ratio mètre carré par habitant est très élevé et où les exemples de dead malls et de faillites des grands magasins se multiplient. Mais il faut rester vigilant sur les grands équilibres. Et surtout, la question de la « quantité » des surfaces commerciales ne doit pas occulter celle de leur nécessaire évolution qualitative. La balance entre commerce physique et e-commerce est à scruter avec la plus grande attention. L’étude nous révèle que les plus gros consommateurs en ligne sont aussi les plus grands consommateurs dans le commerce physique, mais surtout qu’ils arbitrent en permanence entre les deux à l’aune du couple fonctionnel/immatériel. Or, à ce jeu-là, la balance penche nettement en faveur du commerce en ligne. Les irritants sont plus saillants dans le commerce physique que dans le e-commerce. Ils ne sont pas, en outre, compensés par des bénéfices suffisants sur le plan expérientiel dans le commerce physique.
 
BI : Quels sont ces irritants ? Et quelle peut être la parade des opérateurs de centres commerciaux face à cette désaffection ?
PM : L’étude fait clairement ressortir des manques sur le plan de l’accessibilité, et ceci ne concerne pas seulement les centres-villes, mais aussi les centres commerciaux. Mais les consommateurs interrogés mettent également souvent en avant l’aspect « stressant » et « fatiguant » du centre commercial. Dans le registre fonctionnel, il revient donc aux centres commerciaux de gommer tous les irritants du parcours du consommateur par une meilleure information en amont, une accessibilité et une signalétique améliorées, des services renforcés. Dans le registre immatériel, l’enjeu pour les espaces commerciaux reste l’expérience shopping à créer, la fameuse martingale qui, pour être opérante, doit s’inscrire dans les imaginaires et les valeurs de la clientèle ciblée.